Du 28 novembre au 2 décembre à Genève, le festival «Palestine, filmer c’est exister» met à l’honneur le cinéma palestinien, mis à rude épreuve par la guerre entre Israël et le Hamas. Pour sa 13ᵉ édition, il présente des courts-métrages inédits réalisés par des habitants de Gaza, pris au piège dans l’enclave.
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Conflits armés, crises humanitaires, climat, santé… Rachel décrypte les enjeux géopolitiques depuis la Genève internationale. Journaliste spécialisée en environnement, elle s’intéresse de près aux matières premières et est partie sur le terrain, notamment en Arctique, pour enquêter sur des conflits miniers. Elle coordonne aussi le projet éditorial “Genève Vision”, à cheval entre SWI Swissinfo.ch, Géopolitis RTS et la European Broadcasting Union (EBU).
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«À Gaza, il est devenu pratiquement impossible de filmer depuis le 7 octobre 2023», déclare Catherine Hess, co-organisatrice des rencontres cinématographiques Palestine, filmer c’est exister. Depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, plus de 130 journalistesLien externe, majoritairement palestiniens, ont perdu la vie à Gaza, tandis que l’armée israélienne interdit l’accès à l’enclave aux reporters étrangers.
Une fenêtre ouverte sur Gaza
Pour contrer ce «blackout médiatique»Lien externe, le réalisateur palestinien Rashid Masharawi a remis 20 caméras à des Gazaouis, principalement des amateurs. De ce projet, intitulé From Ground Zero, ont émergé 22 courts-métrages, mêlant fictions et documentaires, qui offrent une fenêtre sur le quotidien des habitants de la bande de Gaza, et qui jalonneront chaque projection du festival.
«C’est l’une des rares voies directes qui nous relient encore aux habitants de Gaza depuis la fin 2023. Il nous semblait important que leurs histoires soient présentes à chaque projection», explique Catherine Hess, qui ressent les répercussions de la guerre jusque dans l’organisation du festival. «Nous avons perdu contact avec des cinéastes à Gaza. D’autres ont vu leurs maisons rasées, et ont perdu tous leurs documents, y compris leurs films.»
Au-delà de Gaza, les conditions de tournage sont difficiles dans l’ensemble des territoires palestiniens. «Des tournages ont pu reprendre en Cisjordanie, mais la situation est très compliquée. Les déplacements sont extrêmement limités et contrôlés par les check-points, si bien que les équipes décident souvent de tourner en Jordanie voisine», précise la coordinatrice, qui dit garder espoir pour le 7ème art palestinien:
«L’affluence au festival a doublé depuis le début de la guerre, si bien que nous avons dû trouver une salle plus grande pour cette édition. Le public, venu de tous horizons, cherche à comprendre ce qu’il se passe.»
La dignité face à l’horreur
Si l’occupation israélienne est en toile de fond des films projetés, ces œuvres ne se cantonnent pas à raconter la guerre. «Les cinéastes racontent leur quotidien. Oui, le conflit en fait partie, mais ils cherchent souvent à mettre en avant la complexité et l’humanité de la situation palestinienne, avec parfois de la légèreté et même d’occasionnelles touches d’humour», souligne Catherine Hess.
Les films, pour la plupart produits avant les attaques terroristes du 7 octobre 2023 du Hamas contre Israël, abordent des thématiques variées, et souvent intemporelles, comme le rêve des Palestiniens de Cisjordanie et de Jérusalem d’un jour contempler la mer, dont l’accès est entravé par les restrictions de déplacement.
D’autres explorent l’assèchement de la mer Morte, conséquence de la surexploitation du fleuve du Jourdain, ainsi que le pillage du patrimoine archéologique ou encore le camp de réfugiés de Jénine, bastion historique de la résistance palestinienne. «Pour les cinéastes palestiniens, il est essentiel de préserver la dignité de leur peuple face à la déshumanisation. Cela transparaît dans leurs œuvres», observe Catherine Hess.
La culture pour outrepasser les clivages?
Début novembre, un festival du film juif, également couvert par Swissinfo, s’est tenu à Zurich. Des contacts ont-ils été établis entre les deux organisations? «Nous ne connaissons pas ce festival, mais on peut imaginer des échanges de films lors de projections hors-festival. On aimerait par exemple inviter le réalisateur israélien Eyal Sivan», répond la co-organisatrice, en soulignant que le 7ème art surpasse les clivages qui divisent la société. «Au niveau de la culture, ces clivages n’existent pas. Les cinéastes palestiniens racontent ce qu’ils voient.»
Les films sélectionnés posent-ils également un regard critique sur l’attentat du 7 octobre orchestré par le Hamas? «L’année passée, nous avons projeté A Gaza Weekend, une comédie qui imagine l’enclave palestinienne comme le seul endroit sûr après une pandémie», commence la programmatrice. Dans ce film, où des Palestiniens aident des Israéliens à fuir à travers Gaza, des critiques envers le Hamas sont sous-entendues.
Elle rappelle cependant que les réalisateurs palestiniens, privés d’accès aux colonies israéliennes, se retrouvent souvent dans l’incapacité d’intégrer la perspective de l’autre camp dans leurs films: «Il y a des sujets qu’un Palestinien ne pourra jamais tourner.»
Une amitié entre un Israélien et un Palestinien
Multiplier les perspectives sur le conflit israélo-palestinien, c’est le défi que s’est lancé le réalisateur suisse-palestinien Yvann Yagchi. Dans son documentaire Avant il n’y avait rien, il entreprend un voyage éprouvant à la rencontre d’un ami d’enfance genevois, désormais installé dans une colonie israélienne en Cisjordanie. Cet ami, de confession sioniste, vit là où le réalisateur, en tant que Palestinien, n’aurait pas le droit de s’installer.
«C’est une première pour un cinéaste palestinien; grâce à son passeport suisse et cette amitié, Yvann Yagchi parvient à nous plonger dans une colonie israélienne», commente Catherine Hess.
«Je souhaitais voir si ce lien amical de toujours nous permettrait de confronter nos opinions, explique Yvann Yagchi. Malheureusement, cela n’a pas été le cas.» Après plusieurs mois de tournage, les clivages finiront par le rattraper, quand son ami l’enjoint d’abandonner le projet, avocat à l’appui. En résulte un visage brouillé tout au long du documentaire, qui a pour effet inespéré d’universaliser l’expérience. «Cet ami, qu’on aime et qu’on cherche à comprendre malgré nos différences, ce pourrait être n’importe qui», commente-t-il.
Ce récit imagé, qui se transforme en quête personnelle pour comprendre son identité palestinienne, est ponctué d’une multitude d’entretiens, avec notamment des rabbins sionistes, des gardes de sécurité israéliens, des paysans ainsi que des réfugiés palestiniens. Comment toutefois, dans un documentaire souvent narré à la première personne, tirer une ligne d’objectivité?
«Un ami d’enfance, ça amène directement des émotions, mais aussi des nuances: on ne diabolise plus l’ennemi, on cherche à le comprendre, répond Yvann Yagchi. Quand cela est devenu impossible, ce film s’est transformé en un carnet de route, qui retrace l’évolution de mon regard. Cette subjectivité-là est assumée.»
Tourné entre 2018 et 2023, le documentaire s’est vu rattrapé par l’actualité. «Hasard du calendrier, nous avons terminé le film le 7 octobre 2023, se souvient Yvann Yagchi. J’ai eu peur que ce serait difficile de montrer le film, mais c’est le contraire qui s’est produit. L’intérêt pour la culture palestinienne a pris une importance que je ne soupçonnais pas.»
Dans un contexte de guerre, les images documentaires revêtent également une dimension juridique, permettant parfois de documenter d’éventuels crimes de guerre. Ces documents peuvent servir de preuves au service de la justice internationale pour épingler les dirigeants israéliens et du Hamas.
En parallèle des projections, le festival propose cette année une exposition photographique au Grütli,Lien externe intitulée «Les images peuvent aussi résister». «Ces photographies, capturées par des photographes de Gaza et de Cisjordanie membres du collectif Activestills, sont souvent utilisées lors d’audiences au tribunal», précise Catherine Hess.
Les rencontres cinématographiques «Palestine, filmer c’est existerLien externe» sont à découvrir du 28 novembre au 2 décembre au Musée d’ethnographie de Genève, au Grütli ainsi qu’à la salle Spoutnik.
Texte relu et vérifié par Samuel Jaberg/livm
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